Alertes internes en travail, santé et environnement : comment anticiper et réagir ?
Cette réforme, entrée en vigueur le 1er septembre 2022, a de toute évidence un potentiel très puissant (comme a pu l’avoir le RGPD dans le domaine du numérique, ce qui a d’ailleurs d’importantes incidences en matière de traitement des alertes professionnelles et RH).
Son objectif principal est à la fois de faciliter les signalements tout en assurant une protection renforcée pour le lanceur d’alerte, ainsi que désormais son « facilitateur ».
Sans entrer ici dans tout le détail technique du dispositif de déclenchement d’alertes et de protection, cette réforme aura certainement des incidences non négligeables pour les entreprises, au-delà même du périmètre « naturel » du droit pénal des affaires (corruption, etc.). On pense tout particulièrement au domaine de la santé publique, de l’environnement mais aussi de la santé-sécurité au travail. Le champ des alertes est en effet susceptible de recouvrir assez largement la sphère HSE, avec une gradation entre le signalement (pouvant désormais être porté aussi bien en interne que directement auprès d’autorités externes désignées, notamment judiciaires *), et la divulgation publique à caractère subsidiaire et sous conditions.*A noter que dans son récent avis du 25 avril 2023 sur les défis à relever en travail-santé-environnement face aux dérèglements climatiques, le CESE a formulé des recommandations dont notamment la suivante (n° 16) : « Diffuser la culture de la prévention par le renforcement du droit d’alerte en matière de santé-environnement, notamment en donnant pleine compétence à la cnDAspe [Commission nationale de déontologie des alertes en santé publique et environnement] pour pouvoir traiter de telles alertes ».
Le lanceur d’alerte est désormais défini comme « une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d'une violation d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, du droit de l'Union européenne, de la loi ou du règlement ».
D’emblée, précisons que le législateur a prévu une articulation avec le droit d’alerte du Code du travail prévu lorsque des produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l'établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l'environnement (art. L4133-1 s.). Selon la situation, un travailleur ou un élu du CSE pourra ainsi déclencher cette alerte spécifique auprès de l’employeur selon la procédure du Code du travail (à noter toutefois que la possibilité de saisir le Préfet en cas de divergence d’analyse est désormais supprimée), ou se placer sur le terrain du régime général du lanceur d’alerte si les conditions sont remplies. De son côté, le régime du droit d’alerte et de retrait en cas de danger grave et imminent n’a quant à lui pas été modifié, mais on peut néanmoins imaginer qu’une infraction aux règles de santé-sécurité au travail puisse également donner lieu à un signalement d’alerte, si les conditions sont remplies.Idem bien entendu en cas de violences au travail. Rappelons par exemple que les agissements de harcèlement moral, harcèlement sexuel ou d’outrage sexiste et sexuel aggravé sont constitutifs d’un délit et peuvent entrer dans le champ d’une alerte.
Cet élargissement des motifs d’alertes se couple à un élargissement du champ des personnes susceptibles d’être protégées, puisque sont visés non seulement les membres de l’entreprise (y compris membres des organes de gouvernance et dirigeants sociaux), mais également d’anciens salariés ou candidats à l’emploi, des collaborateurs extérieurs et occasionnels, ainsi que des cocontractants et leurs sous-traitants (personnels/ dirigeants) … On mesure ainsi l’incidence potentielle que cela peut avoir dans le domaine social et environnemental, à une époque où les attentes sociétales de comportements vertueux sont de plus en plus fortes à l’égard des entreprises. Cela invite les directions d'entreprise à se préparer à devoir éventuellement gérer des situations délicates. Ces nouveaux enjeux peuvent être illustrés au travers d’un rapide panorama (non exhaustif) de pièges et de bonnes pratiques :-
Eviter la posture du « déni »
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Ne pas surréagir ni sous-réagir
Il est important ici de relever la position bienvenue du Défenseur des Droits, venant rappeler que « seules les informations présentant un caractère illicite ou portant atteinte à l’intérêt général peuvent faire l’objet d’un signalement ou d’une divulgation. De simples dysfonctionnements dans une entité publique ou privée ne peuvent fonder une alerte ».
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Mettre en place une procédure interne adaptée et accessible
Si jusqu'à présent, la jurisprudence se montre relativement clémente et souple concernant les modalités de réalisation d'enquêtes internes par l'employeur (cf. précédente chronique), il faut s'attendre à ce que l’appréciation soit plus stricte en présence de dispositions procédurales dont la violation viendrait par exemple affecter la recevabilité des éléments de preuve réunis au cours de l’enquête.
Dit autrement, une ingénierie rédactionnelle est de rigueur afin de pouvoir conserver une liberté d'action dans le respect des principes essentiels et des droits et libertés fondamentaux. Par exemple, le fait de prévoir à titre volontaire d'associer systématiquement les représentants du personnel aux enquêtes internes, dans un souci de transparence, peut s'avérer en pratique contraignant et inadapté.-
Faire traiter l’alerte par du personnel non qualifié
Sur le plan méthodologique, la question du « comment ? » est indissociable du « qui ? ».
Il s'agit d'une responsabilité particulière qui requiert des compétences à la fois humaines (écoute, tact, capacité à rassurer, etc.) et professionnelles (bases techniques, bases juridiques, capacité à satisfaire au principe d'impartialité, d'objectivité, de confidentialité, de prudence, etc.). L’Administration précise d’ailleurs que les référents en charge de l’alerte doivent disposer, par leur positionnement, de la compétence, de l'autorité, des moyens et de l'impartialité suffisants à l'exercice de leur mission, ce qui renvoie aux critères de la délégation de pouvoirs. Il est en outre conseillé de formaliser l’engagement de confidentialité des intervenants. Confier la responsabilité de recueillir et traiter des alertes à du personnel dépourvu de formation et de légitimité risque inévitablement d'engendrer de mauvaises pratiques et rendre inopérante l’enquête ... A l’inverse, le recours à un conseil externe, tel qu’un Avocat, professionnel expérimenté et soumis à une déontologie stricte, pourra être un support précieux dans le cadre de ces démarches.-
Rester maître de l’information
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Savoir se ménager des preuves recevables
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Distinguer enquête interne et procédure disciplinaire
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Toujours clôturer la procédure
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Savoir tirer les enseignements d’une alerte